Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cieux de Tyrie

L'invité indésirable

24 Juillet 2015 , Rédigé par Jeradon

L'invité indésirable


Le cor avait à peine fini de sonner que déjà, à travers la vallée on se dirigeait vers le village. Roncebrume comprit que le temps était venu de quitter le bivouac des marchands humains. Il ajusta prestement son manteau et partit vers le village des Norns.

L’après-midi touchait à sa fin et à travers le sous bois ombragé, Roncebrume cheminait au milieu d'un petit cortège de chasseurs. Déjà on entendait les échos de la fête : au milieu du village, au son du tambour, garçons et filles Norns dansaient la bourrée.

Mais les chasseurs se dirigeaient vers une grande maison décorée de lampions. Et sans trop l'avoir voulu, Roncebrume se retrouva sous le toit immense devant un comptoir imposant.
Là trônait une imposante femme aux longs cheveux bruns. Elle contempla d'un air soupçonneux cet avorton vêtu d’un manteau de feuilles.
« Hé toi ! Qu'est ce que tu bois?
-Un vin bien frais s'il vous plaît. »
La femme eut un sourire moqueur. « Fais un meilleur choix ! Bière, houblon, hydromel, prune ? » Avant que Roncebrume ait pu répondre, une voix acerbe retentit : « Sylvari ! Comment oses-tu être ici ? »

Roncebrume se tourna pour faire face à une altière Norne en costume de travail. Il prit un visage d'écorce: «Je suis sylvari, mais j'ai aussi un nom. On m'appelle Roncebrume ».
La femme croisa les bras et jeta un regard méprisant à l'avorton verdâtre qui osait lui répondre. « Je suis Helga Kaldstall, Roncebrume, et tu n'es pas invité à ma fête. Ta place est dehors avec les étrangers ! »Le Sylvari retourna un regard surpris. « Votre taverne n'est donc pas ouverte aux visiteurs ? »
Dans le dos de Roncebrume une ombre massive s'approcha. « C'est donc une taverne ici ?»
Le Sylvari se retourna pour découvrir un guerrier Norn taillé comme un roc. Helga étouffa un petit rire et s'en fut à grandes enjambées.

Roncebrume, ne pouvait qu'écouter ce colosse bronzé, au torse zébré de cicatrices.

« Salut Sylvari. On m'appelle Tholkor.
-Enchanté. Roncebrume. »
Le guerrier le scruta d’un regard bleu acier. Enfin il approcha un visage buriné. « Alors Roncebrume, tu te crois dans une taverne ?» Il étendit une large main , empoigna le Sylvari par le collet, et le souleva à bout de bras. De là- haut on pouvait entrevoir une salle immense, des tables avec des dizaines de Norns hilares, et des lampes de bronze. Puis Tholkor reposa Roncebrume sur le comptoir avant de sourire : « Voici la Salle des Héros. Et tu n'en es pas un. » Il eut l'air peiné. « Ta place n'est pas ici, mais malheureusement tu as compliqué les choses. Nous ne pouvons pas te laisser partir d'ici vivant...A moins bien sûr que tu te comportes en héros... »
Il tonna un ordre et quelques instants plus tard, trois pintes de bière grandes comme des vases étaient alignées sur le comptoir. Débonnaire, Tholkor se retourna vers Roncebrume : « Voici trois chopes. Tu prends la première, je continue avec la seconde, et tu finis avec la troisième ».
-Et si je refuse ? »
Tholkor tira une hache de sa ceinture et la posa sur la table « Dans ce cas tu rejoins le tas de compost de tes ancêtres. Choisis, Roncebrume : la boisson ou la hache ! »

Une voix sarcastique l'interrompit : « Laisse tomber, Tholkor. Il ne boira pas ta bière ! »
Le nouveau venu faisait une bonne tête de moins que le guerrier Norn, et sa robe bleue d'envoûteur était défraîchie. Mais il parlait avec assurance, et arborait un espadon sur l’épaule. Tholkor se redressa et négligemment, fit craquer ses phalanges.
« Gurnmarsson, ce soir, c'est moi qui maintiens l'ordre ici. A moins que tu ne sois pas d'accord. »
L'annonce tranquille de Tholkor fit taire les discussions aux alentours.
L’envoûteur haussa les épaules. « Ne t'en fais pas Tholkor. Pour rétablir l'ordre il suffit que tu sortes. ».
C'en était trop : D'un bond et d'un coup de poing Tholkor le catapulta contre un des madriers qui soutenait le toit. L'envoûteur s'effondra comme une poupée brisée. Le guerrier empoigna une table, enjamba une chaise fracassée et en trois pas s’approcha. L'envoûteur était encore à quatre pattes au sol. Tholkor eut un sourire goguenard…« Tu es trop faible, avorton ! » D’un geste sec il abattit la table.

Le fracas retentit dans toute la salle. Tout le monde se dressa pour mieux voir. « Trop lent, Tholkor ! »
Roncebrume ne pouvait y croire : L’envoûteur venait d’apparaître à l’entrée épée au clair et sans une écorchure. A côté de lui, trois envoûteurs apparurent. Tholkor se retourna, un rictus enragé sur la face. « Tu oses te moquer de moi ? » En un éclair d'acier il projeta sa hache. En une volte, l'intrus se déroba, et la hache fendit le linteau de la porte. A son tour l’envoûteur leva son espadon : Un rayon mauve atteignit Tholkor en pleine figure. En un grondement féroce, le guerrier se redressa et bondit. Mais que pouvait-il faire contre le flux d'énergie mentale de son adversaire ? Il avança encore de quelques pas avant de s'effondrer. Fou de rage il tendit une main crispée vers son adversaire : « Tu me paieras cette défaite Jerad Gurnmarsson !!! »
Et il s'effondra sous les acclamations de l'assistance.

Hébété, le vainqueur se laissait amener vers une table. Une élémentaliste Norn, le visage soucieux, s'empressait à ses côtés. D'autres guerriers écartaient les tables. On emportait Tholkor, toujours inconscient.

A peine eut-il descendu du comptoir qu'Helga apostropha Roncebrume « Tu as eu de la chance, Sylvari. Un héros Norn s'est battu pour que tu puisses rester. C'est plus que je n'en aurais jamais fait pour toi ». Elle ajouta « A ta place j'irais le remercier. »

Penché à sa table, Jerad se demandait quand la salle arrêterait de tourner. Il avala une autre gorgée de vin épicé. Pas de doute, demain au réveil il serait aussi meurtri qu'un berger piétiné par un troupeau de dolyaks. Tholkor tapait vraiment fort.

« Salutations, Jerad Gurnmarsson ». Surpris, Jerad avisa l'être tout en bois et pousses qui se tenait de l'autre côté de la table. « Moi Roncebrume, te remercie de ton aide. Sans toi Tholkor aurait probablement tenté de me saouler à m'en brûler l'esprit ».

Jerad hocha la tête. Une mèche de cheveux noirs et gras masqua pour un instant son visage . « Ah ! Oui il est souvent humiliant. Assieds toi Roncebrume, prends une bière et profite de la soirée ».
Quelques instants plus tard, Jerad considérait d'un regard pensif son compagnon de tablée. Alors que la beuverie battait son plein, Roncebrume restait silencieux. Son visage vert aux traits fins était curieusement inexpressif...Comme léthargique. L’envoûteur Norn soupira.

« Allez Roncebrume, ce soir tout le monde parle ! Qui es-tu ? »
Le Sylvari retourna un regard surpris. « Je suis Roncebrume, envoûteur du soir. »
Jerad eut un fin sourire « C'est donc un si grand exploit que d'être envoûteur du soir ?
-Mais...Ce n'est pas un exploit..»Le sylvari était clairement décontenancé « C'est ma nature et c’est ce que je suis. »
Jerad secoua la tête... «Non Roncebrume. Tu ne peux être...
-Ha ! Sylvari ! Tu ne peux être que le résultat de tes exploits !!! »

La voix était tonnante, le geste ample, l'éloquence éthylique, et le chasseur Norn qui animait le tout se laissa tomber sur le banc à côté de Jerad. Il soupira de contentement. « Ah quelle soirée !!! » Puis il tourna une trogne rougie vers Roncebrume. Sa moustache rousse frémit et il reprit dans une exhalation qui fleurait bon l'hydromel : « Sylvari, je te l'annonce, ce soir Jerad n'est pas un envoûteur ! C'est le vainqueur de Tholkor. Moi je suis Sven, le chasseur de minotaures. Et toi? » Il avala d'un trait sa chope.
Lèvres pincées, le Sylvari finit par répondre « Je suis le tueur des Kraits !
-Bravo ! Et c'était où ?
-La Côte Ternie…Il y a deux mois déjà. Ma sœur et moi avons affronté une vingtaine de Kraits.
-Et tu les as tous tués ?
- J’ai tué une quinzaine d’entre eux. Les autres ont fui.
-Joli ! Et ta sœur ?
-Elle est morte. »

Le chasseur beugla : « Mais non ! Elle est morte, mais elle reste celle qui t’a aidé à tuer ces Traikes...A la santé de Jerad, de Roncebrume et à sa sœur ! ».
Et il dut partir chercher une autre chope de bière.

Roncebrume se retrouva seul à table face à Jerad. Etonné, il se rendit compte que la tristesse voilait le regard du Norn. Jerad hocha la tête « Viens Roncebrume, allons prendre l'air ! » L’envoûteur Norn se leva pesamment. Le Sylvari lui emboîta le pas.

Dehors il faisait frais. La lune trônait dans le ciel, et l’orchestre s’était tu. Les danseurs s’étaient dispersés, et à quelques tables ici ou là, des conversations ponctuées de rire s’élevaient.
A pas lents Jerad se dirigea vers la forêt. Enfin il parla : « Tu es triste, Roncebrume. Et ça fait des mois que tu ne vis avec cette tristesse, pas vrai ?
- Comment sais-tu ça ?
-Les Norns ne sont pas que de grands bagarreurs épris de bière. C’est toujours une perte quand un être cher périt. Il lui restait pas mal d’aventures à vivre pas vrai ? »

Ils étaient déjà dans le sous bois, et à travers le couvert, la lumière blafarde les éclairait tour à tour. Roncebrume lutta un instant pour refréner l'amertume qui lui montait à la bouche.
« Nous étions nés ensemble. Mais elle voulait partir toujours plus loin. Elle m’a demandé de la suivre ce jour-là. Je traînais. Elle était en tête. Elle est morte.
-Les armes à la main.
-Oui. Et elle ne sera jamais plus. »

Jerad soupira pesamment. La tête continuait de tourner. Ils étaient près du campement humain. Il reprit : « Roncebrume…Même quand les gens meurent, s’ils ont été valeureux, ils restent dans le cœur et les paroles de ceux qui se souviennent de leurs exploits ».

Le Sylvari se tourna brutalement vers lui. En un murmure il répondit : « Jerad, les victimes qui ont été massacrées par des tueurs sans scrupules auront-elles une éternité de souffrance ? Avec les Kraits il y avait quatre Norns vêtus de noir. Ils l’ont criblée de flèches, et ont pris son corps. Je n'en ai retrouvé que les cendres… »

Dans la pénombre Jerad serra les poings. Il gronda : « Aucun Norn n’infligerait une telle chose à une ennemi ! »
- Ceux là si. » Une épée venait d’apparaître à la ceinture de Roncebrume. Il reprit « Et chacun portait un pendentif à l’effigie d’un dragon d’argent au cou.
-Un dragon ? Mais comment…? »

Le Sylvari dégaina. « Ils sont morts Jerad. Et en les tuant j’ai perdu quelque chose de plus précieux encore. Adieu.
-Roncebrume, attends ! »
Mais l’envoûteur Sylvari termina son invocation. L’espace d’une seconde, quatre reflets apparurent autour de Jerad. Ils éclatèrent ensemble. Lourdement le Norn tituba avant de s’affaler sans connaissance aux pieds de Roncebrume.

Le Sylvari passa un rameau crispé sur son visage. Jusque à quand devrait il endurer ce flétrissement? Les larmes qui coulaient sur son visage ne ramenaient pas les feuilles qu'il avait perdues. À mi voix il reprit : «Merci Jerad pour m'avoir évité l'effusion de sang. Tu ne sauras jamais à quel point j'ai appris de votre peuple.»

Allons, il devait partir. La gloire ne remplaçait ni les morts ni l'innocence.

C’est au petit matin que Sven retrouva Jerad assis, hébété, prés du feu de camp. En quelques mots il lui expliqua ce qui était arrivé : pendant la nuit on avait trouvé les corps de quatre archers. Des fils de Svanir : chacun d'entre eux serrait dans le poing une statuette de dragon.

On avait retrouvé leurs têtes accrochées aux branches d'un arbre. Mais on ne savait toujours pas à qui elles avaient appartenu : en un écorché sinistre quelqu’un avait taillé sur chaque visage un masque ricanant.


_________________

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article