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Cieux de Tyrie

L'Aveu

1 Juillet 2017 , Rédigé par Jeradon

 

 

Le guerrier mort portait un pendentif reconnaissable : un dragon ouvragé en acier.  Roncebrume arracha l’insigne du fils de Svanir, et d’un coup d’œil rapide, scruta la prairie : non loin de l’entrée de la masure, gisait le corps d’un deuxième Norn. Celui-là était mort l’arc à la main. Seul et sans armes, l’envouteur s’approcha. Tout autour du Norn on avait éparpillé des objets blanchâtres.

 

Un deuxième gémissement en provenance de la maison attira l’attention de Roncebrume : affalée devant l’âtre, drapée dans sa robe noire, Emmeline avait perdu bien de sa superbe.  Elle tourna un visage de pierre vers Roncebrume. « Tu es parti juste à temps, sylvari. Ils sont arrivés sans prévenir…Mais ils n’ont pas réussi à me tuer. Pas même avec ça. » Du menton elle désigna la flèche d’acier barbelée à même le sol. Le sang qui la recouvrait était déjà caillé.

Roncebrume ne pouvait y croire : autrefois, sur une plage de sable fin, deux projectiles de ce type avaient suffi pour mettre à mort une jeune et jolie sylvarie.  Il tourna la tête vers l’entrée et regarda les ossements qui jonchaient le sol autour du cadavre : « Tu t’es bien défendue. Janille t’as aidée ? »

Emmeline secoua la tête. « Non, c’est Rolet. Ils l’ont détruit. » Péniblement elle reprit « Roncebrume écoute…Si tu veux m’aider, va chercher une fiole verte, quelque part dans le coffre derrière mon paravent. »

 

L’envoûteur jeta un regard surpris à la femme avant de partir au fond de la masure. Derrière le paravent il n’y avait rien d’autre qu’un lit, aussi miteux que le sien, une table et une chaise, une armoire, et un coffre de bois ouvragé. L’armoire était un objet massif, de bois noir chantourné, incongru dans une masure si pauvre. Le coffre lui était piqueté et orné d’un bouclier gravé sur le couvercle. Roncebrume dut batailler un instant avec la fermeture avant de pouvoir en dénicher la bonne fiole. À son retour Emmeline ne dit pas un mot et avala le contenu d’un trait.

Il tenta de l’en empêcher. « Du large, face mouchetée ! Je sais ce que je dois faire !!! ». La femme se releva en sifflant de douleur : « Roncebrume…Laisse-moi seule dans la maison quelques minutes. J’ai bien besoin de tranquillité. » L’envouteur acquiesça et sortit.  Dehors il avait mieux à faire : Les deux Norns morts gisaient devant la porte, prêts à être dépouillés de leurs secrets.  Les traits de leurs visages étaient flétris et tachetés comme des papayes rancies, leurs armes portaient simplement la marque des Fils de Svanir. Rien de bien remarquable.  Il était en train d’examiner un carquois quand Emmeline parut à l’entrée. « Que fais-tu ? »

Roncebrume se retourna vers la femme. Elle était encore pâle mais se tenait droite. Il finit par répondre : « Je cherche des insignes, mais on dirait bien que ces deux-là n’étaient que de simples guerriers. Soit des éclaireurs, soit deux idiots fourvoyés. » Il secoua la tête « Il vaudrait mieux disparaître, au cas où.

-Non. » Le ton d’Emmeline était ferme.  « Ce n’est pas le moment. Dans deux jours peut être mais certainement pas maintenant. »

Roncebrume soupira : « Emmeline je connais ces guerriers, et ils n’acceptent pas la défaite. Tu as tué deux des leurs, mais que tu en tues quatre, dix, ou cent, ils reviendront plus nombreux encore. 

-Les Charr d’antan combattaient de la même façon » Coupa Emmeline. « La destinée en a décidé ainsi ». Le ton était impérieux, la diction solennelle, le langage celui de la Kryte ancienne : un instant, Roncebrume crut entendre une Première Née. Puis la magie se brisa et Emmeline s’effondra en un spasme de douleur. Il eut à peine le temps d’accourir. Déjà elle se redressait l’angoisse peinte sur son visage ovale. « Le mélange aurait du arrêter l’hémorragie ! »

Roncebrume comprenait à peine ces paroles, mais l’affaire était claire. « Emmeline, j’ai regardé le carquois de celui qui t’a décoché une flèche. Il y a un enduit bizarre …J’ai bien peur que tu n’aies été empoisonnée. Et si c’est à base de glace draconique, tes heures sont comptées. »

La peur se fit jour dans les yeux noirs de la femme. « Il faut agir vite. Suis mois à l’intérieur ! » Le temps de la rancœur était passé pour l’envouteur sylvari. Il suivit la femme.

À l’intérieur, la respiration sifflante, Emmeline s’affairait devant l’âtre : « Roncebrume ferme la porte et les volets. » Sans mot dire, l’envouteur s’exécuta. Bientôt la maison fut plongée dans la pénombre et à la lumière vacillante d’une chandelle, Emmeline s’avança à pas comptés vers son lit. Maladroitement Roncebrume guida cette femme qui le dépassait d’une tête, et l’aida à s’étendre. D’un geste las elle désigna le coffre dans le coin opposé à son lit. « Ce coffre contient les éléments. Un livre, une pierre de sang, et un bâton. Sors-les. » L’envouteur s’exécuta. Le bâton était enveloppé dans un tissue huilé. Il allait l’ôter quand elle l’interrompit « Pas encore ! »

 

 Quelque chose dans sa voix le fit se retourner : même à la lueur de la chandelle, il put voir le teint cadavérique de la femme. Elle reprit.  « Ce n’est pas encore le moment de faiblir. » Un tremblement la saisit. « Roncebrume », chuchota t’elle « Écoute moi bien. Cela fait bien des années que je garde cette forêt contre les morts. Et tous les ans je dois accomplir un rituel. J’ai longtemps déjouée la mort… » La sueur perlait sur son visage. Sa main brûlante serra le bras de Roncebrume. « Mais mon tour est venu. Roncebrume c’est maintenant à toi d’accomplir le rituel. - Quel rituel ? »

Elle désigna le livre à la couverture de cuir.  « Tout est écrit là. Tu connais désormais le langage. Il ne te reste plus qu’à lire le texte, et à le déclamer à l’endroit indiqué.

-Et qu’est ce qui fait croire que je vais accomplir ton désir ?

-Ce n’est pas un désir, c’est une sauvegarde !!! »

Elle désigna d’un doigt fiévreux l’embrasure de la porte. « Dehors, dorment deux serviteurs du Dragon. Si tu n’accomplis pas le rituel, après demain, eux et une bonne vingtaine de morts rejoindront les troupes de Ludwig.

-Qui est Ludwig ?

 

Emmeline eut un rire sans joie « Celui qui dirige cette vallée. À son réveil, le soleil sera gris et la vie aura un goût bizarre. Celui des cadavres. » « Une fois encore elle agrippa le bras du Sylvari. « Roncebrume il ne FAUT PAS que Ludwig se réveille. Ce sera pire que les serviteurs du Dragon !!! » Le visage d’Emmeline était hagard maintenant. Était-ce la fièvre, ou la terreur subite ? Il se surprit à acquiescer. Oui, Emmeline pouvait compter sur lui, le rituel serait accompli. Elle desserra son étreinte et reposa la tête contre paillasse. « Merci Roncebrume, que les Six soient loués. Tu trouveras les indications écrites dans le livre. » La fièvre emportait sa lucidité. Roncebrume acquiesçait encore. Bientôt il dut acquiescer alors qu’elle parlait, parlait avec la diction sifflante de ceux qui souffrent. Elle racontait sa solitude, sa découverte des champignons, le manoir de ses parents. Elle allait décrire son laboratoire quand elle s’interrompit : « Roncebrume, je n’ai pas toujours été âgée. J’ai été jeune et insouciante. Et tout comme toi, j’ai commis des erreurs. Des erreurs graves qui m’ont forcée à être Emmeline, la Mère de la prairie. Celle qui applique le rituel du Sommeil, année après année. Je l’ai fait en mémoire de tous ceux qui m’ont quittée. Et quand tous ceux qu’on a aimés ne sont plus que poussière, les souvenirs deviennent une grande richesse. Et c’est parfois la plus grande des douleurs. »

Un sanglot la parcourut. « Roncebrume tu ne sais pas à quel point je regrette toutes ces années !!! » Elle retomba en arrière, les lèvres articulant une prière silencieuse.  Roncebrume la laissa prier. Quand elle eut fini, il attendit longuement à la lumière faiblissante de la chandelle. Dehors régnait le silence de la nuit. Enfin il reprit : « Emmeline…Ces Norns sont les vrais ennemis…Mais je t’aiderai du mieux que je pourrai. »

 

La femme ne répondit pas. Perplexe, l’envouteur se leva, et regarda le visage livide, les tâches noires qui apparaissaient sur les lèvres. Il comprit alors qu’elle n’était plus.  Il lui ferma les yeux et déposa un baiser de paix sur son front.

 Enfin il se redressa. Il avait à peine le temps de prendre les ustensiles et de déguerpir vers la forêt avant le retour des Fils de Svanir. Il rassembla rapidement les quelques provisions qu’Emmeline avait sorties de l’appentis, et s’empara des instruments du rituel. Le livre et la pierre partirent dans une besace. Le bâton enveloppé par contre…Roncebrume retira rapidement le tissu huilé. À la lueur de la chandelle, le bâton était d’un noir étrange, luisant, pareil à une laque. Intrigué Roncebrume allait amener la chandelle quand un bruit dehors le fit sursauter. A l’instant il se redressa, le bâton à la main. Rien. C’était tout simplement une fausse alerte. Roncebrume allait se rasseoir quand dans sa main, le bâton s’anima : une brulure intense parcourut sa main, son bras, son épaule. Il leva le bras, et vit la noirceur gagner son bras dans un grésillement sinistre. L’envoûteur hurla…

 

Au dehors un Norn attendait, couché dans l’herbe, le marteau de guerre en main. Un hurlement de damné le fit sursauter. L’instant d’après, la porte de la masure s’ouvrit brutalement et une créature d’un noir calciné en surgit avant de se ruer vers la forêt. Éberlué le Norn se redressa avant de secouer la tête : ses frères et lui n’étaient pas venus pour se battre avec un mort-vivant. Il montra la porte aux autres, et lentement les fils de Svanir s’avancèrent vers la masure.

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